Édito : Une centrale à béton ne fait pas le printemps

24 novembre 2022

 news René Mathez

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Cela n’aura échappé à personne, la Suisse manque cruellement de main-d’œuvre. Nous ne sommes pas les seuls à souffrir de ce phénomène : actuellement, en Allemagne, on ne compte pas moins de 2 millions de postes à pourvoir, pour 1 million en France.

Dans le secteur de la construction, les raisons -multifactorielles- du déficit de ressources humaines sont identifiées. Le départ à la retraite d’une formidable génération de maçons de métier, le désintérêt des jeunes minant la relève, la croissance économique post-covid asséchant l’offre de service qualifiée, le vieillissement de la population et plus profondément, l’érosion de l’attractivité suisse pour les viviers de travailleurs talentueux que sont principalement l’Italie, le Portugal, l’Espagne, entre autres.
En effet, pour nombre de ces travailleurs, l’opportunité consistait à s’établir en Suisse pour bénéficier de conditions salariales et sociales supérieures, trouver un cadre de vie attrayant et thésauriser pour dupliquer une existence confortable, au pays.
Or, ici, le budget du ménage est devenu si cher qu’il rompt cette perspective et « cloue » les familles par les charges, tandis que sur la terre natale, on s’approche peu à peu des standards helvétiques.

Pour les entreprises suisses, cela pose problème. Notre marché de l’emploi ne fournit plus ni les hommes ni le talent. La relève qualifiée est insuffisante et les candidats de substitution, bien que pleins de bonne volonté, ne maîtrisent pas plus le métier que les règles de l’art. Les compagnies genevoises historiques, ancrées par l’expérience du territoire, la contribution à l’apprentissage et l’implication fédérative, voient peu à peu s’échapper leurs savoir-faire, ne les renouvelant pas, et sont amenées à sous-traiter à des pourvoyeurs d’effectifs hélas sans commune mesure avec les maçons qui ont bâti Genève au XXe siècle. Ironie du sort, pendant que ces ouvriers ponctuels gagnent en maîtrise, les acteurs représentatifs de la construction perdent la leur.

L’équipement ? Là encore, ne nous berçons pas d’illusions. Posséder des grues, des dépôts, des centrales à béton n’apporte plus l’avantage de crédibilité et de disponibilité arboré jadis.
Car le matériel se loue. En d’autres termes, pendant que la compétence est remplacée par la manœuvre, que le savoir-faire et l’éthique s’estompent devant l’urgence, que les efforts à l’investissement ne sont plus encouragés, les entreprises locales sont remises en question dans leurs devis, négligées dans leurs garanties de qualité, inaudibles dans leurs valeurs d’intégrité.
Est-ce le signe du progrès ? Je ne le pense pas, car on ne construit pas l’humanité avec un business plan.
Nous devons impérativement stimuler la filière apprentissage et restaurer auprès des promoteurs, maîtres d’ouvrage et d’œuvre, une éthique genevoise fondée sur une belle finition, au juste prix. Ce qui est construit l’est en moyenne pour 70 à 100 ans avec un taux de renouvellement d’un peu plus de 1%. En d’autres termes, 1 bâtiment sur 100 est remplacé tous les ans.

Dans une époque où l’écologie devient maître-mot, la durabilité des ouvrages prend une importance primordiale.
Nous devons repenser l’acte de construire, mettre la qualité, l’ingéniosité et la durabilité au premier plan afin de pérenniser notre patrimoine immobilier.
Notre profession n’échappe pas à l’adage « trop bon marché, trop cher ».
Par cupidité, certains acteurs du secteur immobilier n’hésitent pas à recourir à l’amateurisme de quelques entrepreneurs peu regardants au détriment des règles de l’art et de la qualité.
Mais qu’adviendra-t-il de ces ouvrages ?
Ne pensez-vous pas que nous avons tous un rôle à tenir dans notre urbanisme ?

Éric Lumbreras
Directeur général


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