Édito d’Éric Lumbreras – Le maçon n’échappe plus à la lumière crue des rapports de force
14 novembre 2023
news René Mathez
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Dans un de ses récents bulletins, la Fédération Genevoise des Métiers du Bâtiment (FMB) faisait un constat inquiétant : les petites et moyennes entreprises du bâtiment, garantes de la proximité, de la circularité et de la qualité des prestations, sont peu à peu marginalisées. Dans ce contexte économique tendu, la pression sur les sous-traitants et prestataires s’accentue, les marges se compriment, et les entreprises générales — capables de gérer des chaînes longues et complexes — s’imposent en acteurs incontournables. Tout l’effort repose désormais sur ceux qui construisent, investissent, forment et innovent au quotidien : rester performants tout en préservant la qualité et la pérennité de leur métier.
Les entreprises générales redéfinissent notre secteur. Elles-mêmes mises sous le boisseau des maîtres d’ouvrage financiers, elles sont régulièrement recrutées au « moins disant », soufflant sur un brasier dont les combustibles sont l’artisan et la qualité. Une logique, que, pour ma part, je refuse. Je ne conçois pas la maçonnerie sans l’idée de lui faire traverser le temps, de la faire durer dans la stabilité.
Nous vivons quotidiennement les effets dramatiques de cette mécanique exclusivement économique : des corps d’état sous pression, des délais compressés, des exigences budgétaires qui n’autorisent plus aucune marge de manœuvre — ni pour la réflexion ni pour le détail. Quand l’entreprise générale satisfait le budget du maître d’ouvrage ou de la banque : elle impose aux corps d’état de travailler à prix coûtant.
Dans ces conditions, comment l’artisan pourra-t-il continuer de former, d’équiper, d’innover ? Sans ses prestataires locaux, notre pays cèdera-t-il à la concurrence étrangère ? Enfouira-t-il à jamais ses savoir-faire ? Renoncera-t-il à ses filières manuelles ?
« Qui travaille la pierre connaît sa force. »
Ce proverbe apporte la solution : offrir aux artisans des interlocuteurs de métier, qui comprennent les enjeux techniques et savent profiter du conseil avisé du praticien, de l’homme de terrain. Travailler avec les entreprises générales, soit ! Mais avec pour interfaces des professionnels capables d’analyser les offres autrement que par le prisme du dumping.
Nous avons le devoir, dans un esprit de cohésion nationale, de privilégier le respect des règles de l’art, de former des apprentis, de valoriser la qualification. Et de dire « non » aux budgets absurdes, aux marges nulles. Car dans le bâtiment, depuis la nuit des temps, on ne sait pas bâtir pour livrer : on bâtit pour durer, avec des fondations solides — matérielles, humaines, morales.
Je crois fermement que l’avenir passera par une remise en question des modèles économiques hégémoniques, par un retour à la juste part de chaque acteur, par une reconnaissance réelle du métier, de la compétence, de l’engagement humain. C’est tout simplement une condition de survie de notre filière, sur laquelle repose non seulement les entreprises traditionnelles qui ont fait la réputation de la Suisse, mais également la qualité de l’habitat, la dignité de ceux qui bâtissent, et le confort des utilisateurs — la véritable mesure de notre réussite.
Éric Lumbreras
Directeur général de René Mathez


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